Rachat d’Arduino par Qualcomm : ce que ça change (vraiment) pour les makers, l’éducation et l’IoT

1. Le choc du 7 octobre 2025

Le 7 octobre 2025, Qualcomm a annoncé qu’il acquérait Arduino, la plateforme open source italienne connue et utilisée par plus de 33 millions de développeurs dans le monde. L’annonce a été faite en simultané depuis San Diego et Turin, avec un message très clair : “on veut mettre nos technos edge/IA dans les mains de la communauté Arduino”.

Le lendemain, plusieurs médias techniques (IEEE Spectrum, Tom’s, The Verge, Techradar…) ont titré sur la surprise et sur les questions de la communauté open source : pourquoi un géant très B2B, plutôt fermé sur ses puces, rachète-t-il la plateforme open hardware la plus populaire du monde ? Et surtout : Arduino va-t-il rester Arduino ?

Arduino a répondu dès le même jour sur son blog : “Arduino was born open, and it will stay open.” L’entreprise dit rejoindre “la famille Qualcomm” pour accélérer, pas pour se fermer.

2. Pourquoi Qualcomm rachète Arduino

En lisant les communiqués officiels et les analyses (Forbes, Futurum Group, Techradar), trois raisons ressortent très nettement :

  1. La communauté : Arduino, c’est un canal direct vers des dizaines de millions de développeurs, profs, makers, PME. Qualcomm n’a jamais eu un tel canal. Le rachat lui offre un accès instantané à cette base.
  2. L’edge / IoT : Qualcomm pousse depuis 2024-2025 une stratégie “je ne veux plus être seulement dans ton smartphone, je veux être dans tes robots, ton usine, ta voiture, tes capteurs”. Racheter Arduino, c’est se mettre au cœur de l’edge grand public et des prototypes industriels.
  3. Faire adopter ses SoC… en petites quantités : un reproche récurrent à Qualcomm, c’est “on ne peut pas acheter vos puces en petite quantité”. Dans l’interview IEEE, le VP IoT de Qualcomm dit explicitement : “you can rest assured the chips will be available” — autrement dit, on va enfin pouvoir utiliser du Qualcomm dans des projets makers/écoles/séries courtes.

👉 Donc non, Arduino n’a pas été racheté “pour faire joli” : Qualcomm achète une communauté + un pipeline d’idées + un canal éducatif.

3. Pourquoi Arduino dit “on reste open”

Du côté Arduino, le billet “A new chapter for Arduino – with Qualcomm, UNO Q, and you!” insiste sur 3 points :

  1. La marque reste : Arduino reste Arduino, on ne devient pas “Qualcomm Dev Board”.
  2. L’ouverture reste : dépôts publics, schémas, exemples, licences — “openness remains at the core”.
  3. La diversité des puces reste : Arduino continuera de supporter d’autres fabricants que Qualcomm (Renesas, STM, même RISC-V) pour ne pas casser l’écosystème existant.

Cette promesse est importante, parce que les tout premiers retours de la communauté — forums Arduino, vidéo de Jeff Geerling, posts LinkedIn — étaient clairement : “On a peur que Qualcomm ferme les vannes”. Arduino sait qu’il ne possède pas sa communauté : si les makers se sentent trahis, ils peuvent partir du jour au lendemain vers ESP32, Pi Pico, RISC-V open hardware. Arduino doit donc rassurer.

4. L’Uno Q, carte-vitrine de ce rachat

Le jour même du rachat, Arduino sort la nouvelle Arduino Uno Q :

  • SoC Qualcomm Dragonwing QRB2210 (quad-A53, GPU, Wi-Fi 5, BT 5.1),
  • MCU STM32U585 pour le temps réel Arduino,
  • compatibilité UNO,
  • et un nouvel environnement Arduino App Lab pour mixer Linux / Python / Arduino.
    C’est une démo grandeur nature : “voilà ce que nous allons faire ensemble”.

5. Ce qui va probablement s’améliorer

a) Plus de puissance et d’IA dans les cartes Arduino

Qualcomm met en avant l’edge AI : GPU Adreno, ISP, accélérateurs. La promesse, c’est de rendre l’IA embarquée aussi simple que “Blink” (leur slogan “From Blink to Think” va dans ce sens). On peut donc s’attendre à :

  • plus de cartes “dual cerveau”,
  • plus de tutos “IA en 10 minutes”,
  • plus d’intégrations avec Arduino Cloud / App Lab.

b) Un passage plus simple du proto vers le produit

Un gros frein actuel : on fait un POC sur Arduino, puis on doit tout refaire sur une plateforme industrielle. Là, Qualcomm dit : “gardez vos libs Arduino, mais utilisez nos SoC” → le chemin proto → petite série → série sera plus direct. Ça intéresse énormément les PME et intégrateurs.

c) Une meilleure disponibilité de certaines puces Qualcomm

C’est écrit et répété dans plusieurs interviews : Qualcomm sait qu’on lui reproche le manque d’accès en petites quantités. Avec Arduino, il a l’obligation de régler ça, sinon la communauté ne suivra pas.

6. Ce qui inquiète (et comment y répondre)

Les articles d’opinion (IEEE Spectrum, XDA, posts de makers) relèvent 5 inquiétudes majeures :

  1. Risque de fermeture progressive (docs, schémas) au profit de produits plus rentables.
  2. Risque d’orientation trop “industrielle” et moins “éducative/maker”.
  3. Risque de dépendance à un seul fournisseur de puces.
  4. Risque sur le prix : les cartes Qualcomm sont rarement au prix d’une UNO R3.
  5. Risque d’abandon de certaines familles (AVR historiques).

Ce qu’on peut répondre aujourd’hui (au vu des annonces publiques) :

  • Arduino réaffirme noir sur blanc qu’il restera multi-vendeurs.
  • Le prix de l’Uno Q annoncé (≈ 44–59 $ selon RAM) la place davantage en complement qu’en remplacement. On ne tue pas la gamme basse.
  • Qualcomm a besoin de la communauté : s’il ferme trop, la communauté part, donc l’intérêt du rachat disparaît. Même les analystes le disent : “le dernier truc que Qualcomm veut faire, c’est fâcher les devs”

7. Impact par public

a) Pour les makers / hobbyistes

  • Plus de cartes puissantes “qui restent Arduino”
  • Plus de tutos IA / vision / audio
  • Probable montée en prix sur le haut de gamme
  • Vigilance à garder sur la disponibilité des schémas & libs

b) Pour l’éducation (collèges, lycées, fablabs, médiathèques)

  • Toujours le même IDE et la même logique pédagogique
  • Apparition de cartes capables de faire tourner Linux + Arduino → parfaits pour des projets plus ambitieux sans changer d’écosystème
  • Renforcement du rôle d’Arduino comme premier outil pour apprendre l’embarqué
  • Nécessité de bien séparer dans les achats : “cartes classiques pas chères” vs “cartes Qualcomm avancées” pour ne pas exploser les budgets

c) Pour l’IoT / industriel léger

  • Excellente nouvelle : Arduino entre dans le champ Qualcomm → on pourra prototyper sur Arduino et déployer sur du Qualcomm sans tout jeter
  • Arrivée d’outils plus pros (sécurité, OTA, cloud)
  • Accès à des puces habituellement difficiles à acheter au détail
  • Il faudra suivre les conditions de licence et l’ouverture réelle dans le temps

8. Conclusion

Le rachat d’Arduino par Qualcomm est un tournant historique : c’est la première fois qu’un géant du semi-conducteur met la main sur la marque qui a popularisé l’électronique créative et l’IoT éducatif. Sur le papier, c’est un deal gagnant-gagnant : Qualcomm met sa techno edge/IA dans un écosystème gigantesque ; Arduino gagne des moyens pour sortir des cartes beaucoup plus ambitieuses. Les craintes de la communauté sont légitimes — surtout sur l’ouverture et les prix — mais les déclarations officielles d’Arduino et de Qualcomm vont toutes dans le même sens : “Arduino reste ouvert.” Tant que cette promesse est tenue, les makers, les écoles et les intégrateurs ont tout à gagner.

Et très clairement, l’Arduino Uno Q sortie le même jour est le meilleur indicateur de la suite : Arduino va monter en puissance, pas disparaître.